Expo passée
Sucreries
Exposition personnelle d’Elisabeth Fréring
Du 25 octobre au 16 novembre 2014

Rose est la vie

Rose bonbon

Rose le petit chaperon rouge

Rose la faim du loup

Rose les malabars au nez et à la barbe à papa

Rose la fête foraine et l’entracte

Rose les perles de couleur

Le rose est une sucrerie

 

Elisabeth Fréring que la galerie promeut depuis 5 ans et qu’elle a montrée en mars dernier à Scope New-York 2014, revient pour une exposition personnelle à Strasbourg qu’elle n’avait pas eu depuis 2011. Vous aurez l’occasion de découvrir de nouveaux dessins ainsi que des sculptures en verre que la galerie a produite.

Article de Françoise Urban-Menninger pour Hebdoscope de décembre 2014.

Sucreries d’Elisabeth Fréring

A la Galerie Bertrand Gillig

A l’instar de la petite madeleine de Proust le doux vocable « sucreries » lève sous notre palais et sur notre langue de douces réminiscences qui nous ramènent sur les lieux magiques de l’enfance où la couleur rose tient la dragée haute.

Car Elisabeth Fréring l’avoue sans détour, le rose a partie liée avec la barbe à papa, la fête foraine, les sucres d’orge, les contes de fées qui ont bercé ses premières années. Le rose est une clé qui permet à l’artiste de passer de l’autre côté du miroir comme l’Alice de Lewis Caroll.

Or le rose n’est-il pas d’emblée cette couleur ambiguë dont Jean Ray affirmait qu’elle était « le bâtard du rouge triomphant » ? Quant à Homère, il qualifiait le rose de couleur fragile et éphémère et l’avait placée instinctivement dans le champ de la subjectivité poétique.

C’est cette ambivalence que l’on pressent en appréhendant des œuvres d’Elisabeth Fréring. Les aquarelles sur papier d’Arches ajoutent des notes poudrées à la tenue rose lavé du Petit Chaperon Rouge qui s’initie au jeu dangereux de la séduction avec le loup qui rôde, toujours à l’affût dans les œuvres…

Symbole de la virilité au Moyen Age, le rose devient vers 1940 en Occident une couleur exclusivement féminine marquée du sceau de la séduction et du plaisir, voire de l’érotisme et de la pornographie avec l’apparition des sex-shops. D’ailleurs au XIXe siècle la robe de la prostituée s’empare du rouge qui symbolise dès lors la couleur de tous les excès.

Ce rose-rouge renvoie également aux tonalités carmines de la chair, du sang et du sexe. Et Elisabeth Fréring de nous inviter à mettre notre tête sous la robe rouge du Petit Chaperon Rouge comme le loup qui s’y fourvoie et semble faire corps avec elle. De sulfureux volcans en fusion évoquent la béance du sexe féminin dans toute sa flamboyance, des escarpins roses nous remémorent peut-être les fameux et scandaleux« ballets roses » de 1959…De délicates sculptures en verre soufflé dessinées par Elisabeth Fréring, aux formes sans équivoque, génèrent leur lot de fantasmes…

A n’en pas douter cette plongée dans l’univers érotico-poétique, ludique et onirique, d’Elisabeth Fréring laisse au public le goût délicieux d’un retour à la bibliothèque rose d’antan où tous les interdits ont été abolis au profit d’une très malicieuse rêverie au charme parfois bien vénéneux !

 

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Texte de Gianni Cariani

Un monde de formes :

Un monde parfait. Tout est équilibre. Tangible. Eau limpide. Ligne d’horizon diaphane. La main de l’artiste ne tremble pas. La concentration est extrême. Le territoire est délimité. La destination est connue. Mais il y a bifurcation, hésitation, un moment suspendu. L’itinéraire n’est jamais flou, l’acte créatif est certain, et le cheminement devient autre, différent, empirique. Des instants suspendus, une relation au monde incongrue, surprenante qui dévore la pensée et les émotions. L’histoire de l’art est parcourue de conventions transgressées, de repères désaxés, de scènes champêtres malmenées, de dieux destitués, de mythes assassinés. Piero di Cosimo intègre dans de beaux paysages un bestiaire venu de nulle part. Mikhaïl Aleksandrovitch Vroubel destitue le dieu Pan de toute puissance. Dante Gabriel Rossetti enveloppe Monna Vanna d’une chevelure-fourrure protectrice. Joël Peter Witkind brutalise nos perceptions. A la croisée des chemins, l’artiste entre trop plein et vide, trompe-l’œil et vanité cherche l’improbable équilibre. De cette quête naît un monde de formes qui captive. A chaque regard de nouvelles strates se superposent, gagnant en épaisseur et en danger. La balance n’atteint jamais un point d’équilibre parfait. Ainsi, les subtiles oscillations des peintures et dessins d’Elisabeth Fréring nous interrogent brutalement derrière l’aspect calme et serein de la représentation.

La violence du labyrinthe :

Cette stratification que suggèrent les dessins et peintures représente un territoire pulsionnel où ne parle plus qu’une sorte d’instinct : brutal, cathartique, élémentaire. Le dépeçage a lieu au-delà des apparences. Dans les méandres de la pensée, des émotions et bien au-delà au creuset de l’individu, au niveau des sensations. Alors la mise à mort de la conscience devient jubilatoire. Le corps n’est plus déjà qu’une partie d’un corps. La bête qui sommeillait s’est réveillée, et la vacuité de l’univers ou sa profondeur devient un plein, un trop plein. Jusqu’à quelles limites, l’horizon peut-il être repoussé pour rester cette ligne certaine ? Effet d’optique rassurant qui n’attend plus que sa transfiguration en territoire grégaire. A l’extrême limite de cette orgie hallucinatoire, il ne reste plus qu’une charogne en état de décomposition avancée. Ce n’est plus une réalité tangible. Le charognard guidant sa meute de loups, rats, ours, a définitivement réalisé la conquête de son territoire. Un terrain de jeu illimité. L’odeur est acre, le tumulte féroce, les mains atrophiées, le sexe ouvert, les pensées féroces, les émotions outragées, la chaire est mortelle. A l’extrême fin, dans les confins d’un monde violenté, méconnaissable, ahuri, subsiste une forme de rédemption. Dans le miroir, il est trop tard pour fuir. Le bruit et l’abîme ont ruiné les illusions, il reste la respiration sourde de la matière qui transpire, suinte, tombe en lambeaux. Celui qui regarde et fixe le dessin est maintenant de l’autre côté du miroir. Point de cruauté, juste la part « cachée » de toute réalité.

L’accomplissement :

L’œuvre accomplit son destin. Elle restitue les dimensions desquelles personne ne peut s’échapper pleinement en réalité. Dans la confrontation aux dessins et aux tableaux, celui qui regarde ne ressort pas indemne. Fantasmes, obsessions, peurs irrationnelles, conquêtes vaniteuses, fleurs iridescentes prêtes à avaler une proie, les cartes sont abattues. Il n’y a pas de retour en arrière. Plus le regard se nourrit de ces expressions, plus l’être est dépecé. Plus l’être se réalise. L’élégance du paradoxe traduit bien la tentation mise en scène ici.

Gianni Cariani